L'Amicale des Transplantés de la Pitié Salpêtrière

Transplantation hépatique avec " donneur vivant " Les enjeux de l'Avenir "

Intervention du Professeur Olivier SCATTON, le 22 Juin dernier, dans le cadre de la Journée nationale de sensibilisation au don d’organes et à la greffe et de reconnaissance aux donneurs. 

« Le foie est un organe extraordinaire. C’est une usine qui non seulement synthétise quasiment tout ce dont l’organisme a besoin et c’est aussi une usine à éliminer les déchets. 

Et, au-delà de ces deux fonctions fondamentales, le foie présente deux spécificités : une anatomie très particulière et une capacité que n’ont pas les autres organes, qui est celle de se régénérer.   

Dans le cadre de la transplantation hépatique, les chirurgiens ont mis à profit ces deux qualités : son anatomie particulière, qui est celle d’être divisé en plusieurs segments, et sa capacité à grossir.

Le foie reçoit du sang d’une grosse veine qui vient de l’intestin, la veine porte. Dans le foie, la veine porte se divise en plusieurs branches, comme les branches d’un arbre, ce qui va délimiter des territoires autonomes qui ont chacun leur propre fonction : c’est ce qu’on appelle des segments. Il y a 3 segments dans la partie gauche, et 4 segments dans la partie droite.

Il est possible de prélever indépendamment chacun de ces segments.  Il faut pour cela qu’on puisse avoir une artère et une veine porte qui rentrent dans le foie, une veine sus hépatique qui en sorte, et un petit canicule biliaire.

Prélever une partie du foie pour le greffer c’est très compliqué, mais on y arrive parce que, en fonction de sa taille, on n’a pas forcément besoin de l’intégralité d’un foie.

De plus, on sait que quand on retire la partie droite du foie, il suffit d’un mois pour que la partie gauche restante grossisse et récupère le volume qu’avait le foie total avant. C’est le seul organe qui se régénère en un mois et peut retrouver une fonction complète.

Greffer les enfants

D’une façon générale le foie d’un adulte est trop volumineux pour « rentrer » dans l’organisme d’un enfant.

Le poids du foie représente 2 % du poids du corps. Ainsi, le foie d’un adulte de 80 kg pèse environ 1,6 kilos. Donc, un enfant pesant 10 kg a besoin d’un foie pesant plus ou moins 200 grammes.

On a donc utilisé cette capacité à réduire le foie à un plus petit volume. Pendant un certain temps, pour greffer les enfants à partir de foie d’adulte on ne gardait que le lobe gauche, avec ses deux segments et on jetait la partie droite.

Pour des enfants de moins de 10 kg on a même greffé un seul segment. Les enfants grandissent, le foie grandit, et à l’âge adulte ils ont un foie d’un volume normal, avec 2 segments.

La problématique a été alors d’arrêter de « jeter » cette partie droite du foie dont on ne se servait pas pour la greffer sur des adultes.

C’est la technique du « split » :  on coupe le foie en deux. On donne la partie gauche à un enfant et la partie droite à un adulte… ainsi, on fait 2 greffes avec 1 foie.

Puis une dernière évolution :  pourquoi ne pas donner une partie de son foie de son vivant ?

Puisque la partie de son foie que l’on va garder à la capacité de se régénérer, on peut devenir donneur vivant d’une partie de son foie,

C’est aujourd’hui une pratique courante. Les parents donnent leur lobe gauche pour greffer leur enfant. Cette greffe donne les meilleurs résultats, meilleurs que dans le cas de la transplantation par donneur décédé. Car le donneur est optimal, puisque ce sont les parents, souvent jeunes et, de plus, la durée pendant laquelle on conserve l’organe au froid est excessivement courte puisque on prélève dans un bloc, et on greffe dans le bloc voisin.

Le risque opératoire à donner son lobe gauche, c’est comme donner son rein, c’est très faible : il est de 0.005 % de risque de décès.

Un autre enjeu s’est posé : greffer des adultes par donneur vivant

Le problème pour greffer des adultes c’est qu’il faut amener suffisamment de volume de foie (idéalement 1% du poids du receveur). Pour que le foie greffé redémarre correctement, il n’y a que la partie droite qui peut apporter suffisamment de masse entre adulte.

On a donc appris à prélever la partie droite du foie.

C’est plus risqué que le prélèvement du lobe gauche parce que, à partir du moment où on prélève plus de masse de foie on met le donneur dans une situation d’instabilité  de la fonction hépatique et le risque opératoire est augmenté par 10 par rapport au donneur du lobe gauche, mais ça reste 0.2% de risque de mortalité.

La spécificité de la France et de notre équipe : minimiser toujours davantage l’impact de la chirurgie chez le donneur.

Depuis les 20 dernières années se développent des méthodes dites mini invasives (coelioscopie ou chirurgie robot-assistée). Ces techniques utilisent des trocarts et une caméra qui permettent d’éviter les grandes incisions abdominales et qui minimisent ainsi l’impact de la chirurgie.

Au lieu de faire une grande incision en J (comme pour une transplantation), on fait des mini incisions de 5 à 10 mm, par lesquelles on introduit une caméra et les instruments.  On opère l’organe à travers ces orifices et à la fin on fait une toute petite incision, comme pour une césarienne, et on sort le greffon par cette voie. L’impact de la chirurgie est bien moindre. Ce sont les dernières évolutions qui ont été développées.

Mais nous ne sommes pas encore assez satisfaits car on continue à faire prendre un risque au donneur quand il donne la partie droite de son foie.

On sait en effet que le risque est plus important lorsque l’on donne son foie droit que lorsque l’on donne son lobe gauche.

L’idéal serait que l’on puisse donner la partie gauche. Mais, si cela fonctionne bien pour un enfant, pour un adulte en revanche, la partie gauche n’est pas assez volumineuse.

L’enjeu actuel, et qui n’est pas encore tout à fait réglé, c’est de savoir comment faire pour minimiser d’une part le risque opératoire chez le donneur et d’autre part assurer la fonctionnalité du greffon chez le receveur. Résoudre ce problème est l’enjeu de ces 10 prochaines années.

 

Et puis on a compris pourquoi la greffe ne fonctionne pas quand on a reçu qu’un petit bout de foie.

Dans la vraie vie, quand est opéré d’une tumeur du foie, si on retire toute la partie droite et qu’on laisse le lobe gauche, ça marche : le foie au bout d’un mois va se régénérer.

Alors pourquoi cela ne fonctionnerait pas en prenant seulement le lobe gauche ? C’est ce que l’on  doit découvrir.

Une des pistes c’est que, lorsqu’on a une maladie du foie ce n’est pas seulement le foie qui est malade, on a aussi un débit sanguin dans la veine porte qui est très augmenté. Il y a en fait un hyper débit sanguin.

C’est l’inadéquation entre le volume sanguin important arrivant dans un petit volume de foie qui empêche le greffon de régénérer et qui, au contraire, le met en souffrance. Ce phénomène est appelé « Small for size syndrome ».

Donc tout l’enjeu des années à venir est de pouvoir adapter le débit de sang qui rentre à la masse du foie. On est en train de travailler dessus. Soit on fait des dérivations chirurgicales,  soit on donne des médicaments, soit on branche autrement, soit on module le flux sanguin avant et après en fonction des volumes calculés en préopératoires.

Conclusion:  l’idée c’est, à l’avenir,  de pouvoir utiliser des plus petits greffons pour des malades adultes, tout en diminuant  le risque pour le donneur, puisqu’on ne prélèverait que la partie gauche du foie, ce qui comporte beaucoup moins de risques que la partie droite de son foie. »

 

Professeur Olivier SCATTON, Chef du Service de Chirurgie digestive, HBP et Transplantation hépatique  de La Pitié Salpêtrière.

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